Messieurs les ronds-de-cuir by Georges Courteline

Messieurs les ronds-de-cuir by Georges Courteline

Auteur:Georges Courteline [Courteline, Georges]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Romans
Éditeur: Ebooks libres et gratuits
Publié: 2011-06-06T04:00:00+00:00


La fenêtre était restée ouverte : un cadre vermoulu de mansarde emprisonnant un jaillissement d’innombrables cheminées. Au loin, par-delà les maisons qui s’enfuyaient à l’infini, le Panthéon et la Sorbonne élevaient leurs dômes disparates : l’un plus lourd, gonflé au-dessus de l’horizon comme la calotte d’un formidable aérostat maintenu immobile sur ses ancres, l’autre plus frivole, fanfreluche de clochetons, et pareil au casque hérissé d’une idole hindoue. À l’une des tours de Saint-Sulpice, un rayon de soleil égaré allumait un miroir d’alouette. Trois heures sonnèrent. La splendeur de l’avril battait son plein au-dessus de Paris.

Gabrielle, le dos au jour, s’était renversée dans sa chaise, la pointe vernie et finement piquée de son soulier avancée un tout petit peu, hors de la jupe. Appareillée à sa toilette, son ombrelle lui barrait les genoux : un rien du tout de foulard quadrillé, dont une satinette mauve cravatait le manche interminable avec des airs de gros papillon au repos. Et l’étonnement de Lahrier était de la trouver si blonde !… mais si blonde, vraiment ; si blonde !… Jamais il n’eût supposé avoir une maîtresse aussi blonde ! Sa nuque était devenue de miel, dans le flot de beau temps qui la baignait. Il fut ravi de sa découverte et il se dit que le printemps est, à Paris, plein de clémence ; qu’il ne fleurit pas seulement aux maigres branches des platanes et aux bourgeons empoissés des tilleuls, mais aussi aux cheveux des jeunes femmes, et à leurs joues, et à leurs lèvres, et à leurs bouts de nez, qu’écrase imperceptiblement le nuage des voilettes blanches.

– Non, vrai, Gabrielle, déclara-t-il tout à coup, c’est épatant ce que tu es chic, aujourd’hui.

– Est-ce que tu n’es pas un peu fou ? demanda Gabrielle qui riait, ne l’ayant jamais vu si tendre.

Elle lui avait abandonné ses mains, qu’il baisait avec une belle fougue. C’était deux toutes petites pattes, aux ongles légèrement saillis sous la peau tendue des gants. Ceux-ci, blonds aussi, se brisaient aux poignets, en un double bracelet de petites couleurs engourdies, puis empiétaient sur les manches, à mi-bras, gonflés de chair robuste et jeune. René Lahrier, très éveillé, baisa et mordilla longuement l’un après l’autre les petits doigts, point trop indignés, de son amie. Cependant, un moment vint où il dut aller un peu loin, car la jeune femme, soudain, fut debout, et, avec cette sévérité qui à la fois rappelle à l’ordre et se tient à quatre pour garder son sérieux :

– Non, pardon ! ne t’emporte pas !… Un peu de calme, s’il te plaît.

Mais lui objecta : « Gabrielle !… » si doucement, si gentiment, qu’elle dut désarmer, vaincue, conquise à l’infini de câlinerie puérile dont ce simple mot débordait. Ils se baisèrent aux lèvres, sans bruit, entre leurs mains qui s’étaient jointes, paume à paume et les ongles hauts.

– Chéri !

– Chérie !

Les mots ne furent pas, ou furent si peu ! La confusion de deux souffles, rien de plus…

Devant l’avidité gloutonne de la bouche qui pressait la sienne, Gabrielle, pourtant, avait fui.



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